INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : L'empire du Milieu promettait de devenir le leader mondial
Les chercheurs chinois publient déjà plus de travaux que les américains. La Chine est l'un des rares pays où la reconnaissance vocale et faciale est généralisée dans la vie quotidienne. IA : les deux licornes chinoises qui pourraient changer la face du monde Xavier Biseul
IA : les deux licornes chinoises qui pourraient changer la face du mondeSoutenus par Alibaba, SenseTime et Megvii multiplient les levées de fonds records. Les deux start-up spécialistes de la reconnaissance faciale concrétisent la volonté de l'empire du Milieu de dominer l'intelligence artificielle mondiale.
 
En juillet 2017, la Chine affichait clairement la couleur. Dans un rapport du Conseil des affaires d'Etat, l'empire du Milieu promettait de devenir le leader mondial de l'intelligence artificielle d'ici 2030, détrônant les Etats-Unis et ses Gafa. A cet horizon, le Conseil des affaires d'Etat annonçait son objectif de créer une industrie de l'IA évaluée à 150 milliards de dollars. Selon l'Allen Institute for Artificial Intelligence, les courbes pourraient se croiser avant cette échéance. En analysant plus de deux millions d'articles universitaires, son étude montre que les chercheurs chinois publient déjà plus de travaux que leurs homologues américains même s'ils n'ont pas (encore) leur influence.
La Chine possède, de fait, de sérieux atouts. Le pays continent dispose tout d'abord d'une grande maturité numérique, observe Virginie Ma-Dupont, chargée d'études internationales à l'Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) dans une note. Sur une population de 1,38 milliard d'habitants, 800 millions utilisent un smartphone. La Chine est l'un des rares pays où la reconnaissance vocale et faciale est généralisée dans la vie quotidienne, notamment comme authentification biométrique pour le paiement.
L'industrie chinoise de l'IA peut aussi compter sur le volontarisme politique de l'Etat. Au-delà des investissements consentis dans le domaine de la recherche, de grands pans de la fonction publique entendent se convertir à l'IA, à commencer par la sécurité, la santé, l'environnement, les transports publics (train, métro, aéroport…) et la justice.
Le dernier atout de la Chine, c'est le niveau de capitalisation de ses start-up. D'après une étude de GlobalData, trois des cinq plus grandes entreprises financées par du capital-risque dans le domaine de l'IA en 2018 étaient chinoises, avec un total de 3,1 milliards de dollars levés. Les deux autres, américaines, ont ensemble collecté 0,7 milliard de dollars l'année dernière.
SenseTime, la startup en IA la plus valorisée au monde
En tête du classement, on trouve SenseTime spécialisée dans la reconnaissance faciale et la conduite autonome, qui a amassé, à elle seule, 2,2 milliards de dollars. En levant, fin mai, 620 millions, SenseTime a même décroché, le titre enviable de la start-up d'intelligence artificielle la mieux dotée au monde avec une valorisation de 4,5 milliards de dollars. Les deux tours de table de 2018 ont été conduits par un consortium mené par Alibaba. Parmi les investisseurs, on trouve aussi des fonds américains (Fidelity International, Silver Lake, Tiger Global) et Qualcomm, le géant américain des microprocesseurs, à la fois client et actionnaire de SenseTime.
Basée à Hong Kong et Pékin, SenseTime a été créée en 2014 par Tang Xiaoou. Ce docteur en computer vision diplômé du MIT (1996) est passé par le Microsoft Research Asie au cours de son parcours professionnel. Investissant massivement dans la R&D et recrutant des talents pour la plupart formés, comme son fondateur, aux Etats-Unis, SenseTime serait rentable depuis 2017 et connaîtrait une croissance annuelle de 400%. Elle visait les 2 000 employés à fin 2018.
Le domaine d'excellence de SenseTime, c'est la vision artificielle. Soit la capacité donnée à une machine de traiter, d'analyser et d'interpréter une image ou un flux vidéo venant, par exemple, d'une caméra de surveillance. Faisant appel à des technologies de reconnaissance faciale et de reconnaissance d'objets, son portefeuille de logiciels couvre les domaines de la sécurité publique, de la ville intelligente, de la finance, du commerce ou de la voiture autonome. Dans ce dernier cas, SenseTime, qui compte Honda pour client, a ouvert en début d'année au Japon un centre de R&D dédié à la conduite autonome à 50 kilomètres de Tokyo.
SenseTime, qui revendique plus de 400 clients, fournit en technologies de reconnaissance faciale les principaux fabricants chinois de smartphones (Huawei, Oppo, QiKU, Vivo) afin de déverrouiller les terminaux ou classer automatiquement les photos en fonction des personnes identifiées dessus. Avec Alibaba, son actionnaire de référence, la licorne a ouvert l'an dernier un laboratoire à Hong Kong visant à faire de l'ancienne colonie britannique un hub mondial de l'intelligence artificielle.
Megvii, une des entreprises les plus "smart" pour le MIT
Autre "licorne" de la reconnaissance faciale, Megvii a, comme SenseTime, dépassé le milliard de dollars de valorisation en 2017. Egalement soutenue financièrement par Alibaba, cette "scale-up" équipe de la même façon des acteurs privés comme les équipementiers télécoms, les sites d'e-commerce (JD.com) ou les départements de sécurité publique des agences gouvernementales.
Parmi les 50 entreprises les plus smart recensées par le MIT en 2017, Megvii s'est longtemps appelée Face++, du nom de sa technologie de reconnaissance faciale. Cette dernière est très populaire en Chine pour être utilisée par de nombreuses applications grand public et notamment Alipay dans le paiement mobile ou Meitu, l'application de beauté qui retouche les selfies postés sur les réseaux sociaux.
Megvii (qui peut être traduit par "brillante vision") a centré son activité sur la reconnaissance faciale. Son PDG, Qi Yin, 28 ans, est comme son alter ego de SenseTime diplômé d'une université américaine (Columbia à New York) et est, lui aussi, passé par Microsoft Research Asie. Il a été distingué par le MIT parmi les innovateurs de moins de 35 ans.
Avec deux autres diplômés de l'université Tsinghua, il a fondé en 2011 sa start-up. Au-delà des noms précités, sa technologie est utilisée par Uber et le loueur automobile français Ucar pour lutter contre la fraude. En Chine, l'assureur Ping An ou le géant de l'immobilier Vanke font partie de ses références. La chaîne de fast food KFC a aussi testé le service "Souriez pour payer" conçu par Megvii.
Après avoir levé plus de 600 millions de dollars auprès d'Alibaba ou de Foxconn, le principal sous-traitant d'Apple, Megvii espérait, fin 2018, collecter 500 millions de dollars dans un nouveau cycle de financement, valorisant l'entreprise à 3,5 milliards de dollars. Selon Bloomberg, la licorne compterait s'introduire en Bourse. Ce qui lui rapporterait un milliard de dollars.
Intérêts publics et privés mêlés
Toute la difficulté pour Megvii et SenseTime consistera à poursuivre leur croissance exponentielle, notamment à l'international, tout en s'émancipant de la tutelle étatique. En novembre dernier, Le Quotidien du Peuple relevait, par exemple, que Jack Ma, le fondateur d'Alibaba et homme le plus riche du pays, était membre du Parti communiste chinois. Un signal pour rappeler que le pouvoir a la main mise sur les technologies clés du pays.
Avec quelque 176 millions de caméras de surveillance connectées, l'empire du Milieu ne se cache pas de recourir largement à la reconnaissance faciale. Un "savoir-faire" que Pékin vendrait à l'étranger. Dans une tribune publiée dans Le Monde, Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS-CERI-Sciences-Po, estime que grâce au projet des "nouvelles routes de la soie" (Belt and Road Initiative, BRI pour les anglosaxons), "la Chine exporte déjà ses techniques de contrôle des citoyens, pour le plus grand bénéfice des dictateurs de tout acabit."
Le respect de la vie privée étant une notion toute relative en Chine , le contrôle pourrait aller un cran plus loin. Pékin entend, en effet, déployer dès 2020 un dispositif de notation de la population d'une toute autre ampleur. Rappelant un mauvais épisode de la série dystopique Black Mirror, ce "système de crédit social" serait basé sur le comportement des citoyens sur les réseaux sociaux ou sur la route et conditionnerait l'accès à certains emplois ou services publics. SenseTime et Megvii n'ont pas donné suite à nos demandes répétées d'interview.
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